Livio Sbardella, Cucitori di Canti. Studi sulla tradizione epico-rapsodica grec e i suoi itinerari nel VI secolo a. C., Roma, 2012,

Livio Sbardella, Cucitori di Canti. Studi sulla tradizione epico-rapsodica greca e i suoi itinerari nel VI secolo a. C., Roma, 2012, Seminari romani di cultura greca 14, edizioni Quasar: 282 pages incluant appendice, bibliographie et index.

Isbn 978-88-7140-482-0

Compte rendu par Françoise Létoublon, ERGA – Translatio

Les « Couseurs (ou couturiers) de chants »: la recherche présentée ici dans un numéro spécial des Seminari romani inaugurée par Luigi Enrico Rossi (l’un des dédicataires de l’ouvrage) est originale et extrêmement intéressante. Elle porte sur « l’invention d’Homère » par la tradition rhapsodique au cours des siècles qui ont suivi la composition des poèmes homériques, dans le prolongement explicite de Barbara Graziosi, Inventing Homer (Cambridge, 2002), ainsi que de Walter Burkert 1987 (« The Making of Homer in the Sixth Century B. C. » in Kleine Schriften I, hsgb. C. Riedweg, Göttingen, 2001) et Martin West 1999 (« The Invention of Homer », CQ 49).

La première partie, servant d’introduction, est consacrée à cette tradition « épico-rhapsodique ». Le meilleur indice de la « couture » est fourni selon l’auteur par l’Hymne homérique à Apollon (p. 29 à 39). Le rôle des Pisistratides dans le processus qui a fait passer des performances orales au texte écrit suivi est finement analysé (p. 51 à 63).

La deuxième partie, sur « les Homérides, de l’Égée à la Sicile », se compose de cinq études sur l’Hymne homérique à Apollon dont le rôle de révélateur a été développé précédemment. Le premier chapitre, « Entre Délos et Delphes », traite des variantes dans l’hymne et son unité rhapsodique, en insistant dans la dernière sous-partie sur le rôle de Polycrate. Le deuxième, sous le signe de l’«homme de Chio» (citation du fameux vers 172 de l’hymne, au cœur d’un passage de quatorze vers qui sert à la fois de sphragis et de raccord ou couture entre la partie délienne et la partie delphique) étudie d’abord l’ambiguïté entre « moi » et « nous », puis le « chanteur errant », ξεῖνος ταλαπείριος, des traditions biographiques, pour finir sur la sphragis, dirigée contre des usurpateurs tels que le Thestoride des Vies. Le troisième, intitulé d’après des citations de deux passages de l’hymne (vers 179-181) « l’«aimable Lydie» et la «merveilleuse Milet», interprète ces vers comme un reflet de la politique impérialiste de Polycrate de Samos en Asie mineure. Le quatrième, sous le titre « la gloire de Samos », montre que les vers 305 à 355 de l’hymne constituent une « digression ou insertion rhapsodique »: il s’agit d’un hymne à Héra inséré secondairement dans la partie pythique de l’hymne à Apollon, en hommage à Polycrate à travers la déesse tutélaire de Samos. Le cinquième chapitre « De Délos à Ortygie » couronne l’ensemble par une analyse de la partie « syracusaine » de l’hymne (les vers 15-16 associent Artémis à son frère et Ortygie à Délos).

La troisième partie fait en six chapitres le tour de questions liées au Cycle épique troyen, dans un ordre chronologique, du moins relatif. Le premier utilise les témoignages de Pindare, de l’hymne homérique XXIII à Zeus et du fragment 1 des Chants cypriens pour montrer l’importance de la volonté de Zeus (Διὸς βουλή) pour l’Iliade qu’il appelle « cyclique » c’est-à-dire le récit continu tel qu’il a été cousu ensemble par la tradition rhapsodique. Le vers 5 du proème de l’Iliade, Διὸς δ᾽ ἐτελείετο βουλή, coïncidant avec le v. des Chants cypriens, en témoigne (p. 154-156). Le chapitre 2 porte sur Thésée « égal aux dieux » et l’Amazone « fille d’Arès »: il s’agit de montrer comment la propagande des tyrans a réussi au VIe siècle à introduire le héros athénien dans l’épopée (Il. 1.265). Le chapitre 3 s’intéresse avec la Dolonie aux « héros de l’embuscade », victorieux dans la nuit d’ennemis en plein sommeil et désarmés. L’auteur interprète son insertion dans l’Iliade comme postérieure à la victoire de Pisistrate à Pallène, après 530 av. J.-C. Le quatrième chapitre fait une incursion dans l’Odyssée « cyclique » en partant de la loi dite de Monro: les coïncidences avec des épisodes du Cycle comportent successivement l’allusion à l’expédition d’Ulysse à Troie rapportée par Hélène qui a précédé le rapt du Palladion (Od. 4.240-258); dans la Nekuia, la rencontre par Ulysse de l’âme d’Ajax renvoie à l’hoplon krisis de l’Ethiopide; le troisième chant de Démodokos, demandé explicitement par Ulysse, rapporte l’épisode du Cheval de bois qui vient de la fin de la Petite Iliade et de l’Ilioupersis, et aux Nostoi renvoient plusieurs passages de la Télémachie. Le chapitre se termine par une chronologie précise des performances dans les concours panathénaïques de 522, 518, 514 av. J.-C. Le cinquième chapitre étudie les échos d’une « guerre très célébrée » (dans le Cycle épique) à travers les allusions de la poésie lyrique au VIe siècle.

Le dernier chapitre, intitulé « un ultime regard de synthèse », sert de conclusion. Il est suivi d’un résumé en anglais.

Un très précieux appendice donne les témoignages sur les Homérides (18 passages cités en grec, de Pindare, de ses scholiastes, d’Isocrate, Platon, Strabon, Ps. Lucien, Athénée, Philostrate, du Certamen Hom. et Hes., d’Harpocration, Himérius et des scholies à Denys de Thrace). Bibliographie et index permettent à l’ouvrage d’être utilisé commodément par les chercheurs. Les manques bibliographiques que j’ai pu remarquer (par exemple Dué et Ebbott à propos de la Dolonie, Giuliani à propos de la réception des poèmes homériques dans les arts[1]) ne mettent nullement en cause ni la méthode d’analyse ni les conclusions de l’auteur.

L’ouvrage éclaire d’un jour nouveau la période de fixation des épopées homériques par écrit, au cours de laquelle la tradition rhapsodique a procédé à ces « coutures » que L. S. détaille très précisément. Dans un passage de l’Odyssée (17.382, cité p. 9), les aèdes sont classés parmi les demioergoi, ce qui semble valoir pour les rhapsodes, mais le texte parle des aoidoi. On aimerait bien savoir si le poète faisait une distinction entre les deux catégories.

 

[1] Respectivement Casey Dué and Mary Ebbott, Iliad 10 and the Poetics of Ambush. A Multitext Edition with Essays and Commentary, Washington, Center for Hellenic Studies/ Harvard University Press, 2010 et Luca Giuliani, Bild und Mythos. Geschichte de Bilderzählung in der griechischen Kunst, München, Verlag C. H. Beck, 2003.

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